Les premières cathédrales
L’évangélisation de l’Albigeois se fait à partir de Toulouse par des disciples de son premier évêque, saint Saturnin (mort martyr en 250). Plus d’un siècle après (dans la seconde moitié du IVe siècle), au moment où Albi est érigée en « cité » (Civitas Albigiensis), se constitue l’Église d’Albi avec son évêque.
Dans la foulée (sous l’époque mérovingienne), est édifiée une première cathédrale, détruite dans un incendie en 667. Lui succède un édifice carolingien placé sous le double vocable de la Sainte-Croix et de Sainte-Cécile. Il fait place, au XIe siècle, à une cathédrale romane. Cette cathédrale, faite de pierres, aux dimensions comparables à celles de la collégiale Saint-Salvi, est parallèle à l’actuelle cathédrale Sainte-Cécile, mais située plus proche de la rive du Tarn. Cette cathédrale romane montre vite des signes de fragilité. Elle subit d’importants travaux de consolidation aux XIIe et XIIIe siècles, tant est si bien que l’on se demande s’il faut continuer à la restaurer ou s’il n’est pas préférable d’en construire une nouvelle. La question est tranchée le 21 janvier 1277 par Mgr Bernard de Castanet, nouvellement installé comme évêque d’Albi : il décide d’édifier une nouvelle cathédrale. Le style architectural qui lui sera donné tient à la personnalité du nouvel évêque et aux circonstances d’alors.
L’actuelle cathédrale Sainte-Cécile
Bernard de Castanet était jusque là en poste à Rome auprès du pape Clément IV, natif, comme lui, de la région de Montpellier. La papauté entendait alors réaffirmer l’indépendance de l’Église par rapport au temporel et consolider les États pontificaux. Bernard de Castanet a été formé à cette école de reconquête. Doté d’une personnalité forte, animé d’un sens consommé de la politique, il arrive à Albi avec des idées bien forgées. Il deviendra d’ailleurs l’archétype de l’évêque théocrate du XIIIe siècle. Bernard de Castanet fait appel à l’architecte catalan Pons Descoyls, spécialisé dans la construction d’ouvrages militaires. Le style architectural de la future cathédrale – une forteresse de la foi aux allures massives – concrétisera les idées de l’évêque. Une architecture à messages, donc, en réponse aux défis locaux.
Albi et sa région sortent d’une grave crise religieuse aux connexions politiques multiples : l’hérésie cathare. Depuis 1224, situation singulière résultant de la croisade des Albigeois, l’évêque d’Albi est aussi seigneur de la ville, faisant de celle-ci une « cité épiscopale ». Mais, au milieu du XIIIe siècle, le pouvoir royal comme la bourgeoisie locale veulent reprendre la main sur la cité, à l’instar de ce qui se passe ailleurs dans le comté de Toulouse, qui vient d’être rattaché à la Couronne de France. Bernard de Castanet fait face à deux défis : d’un côté, réaffirmer la saine doctrine de l’Église devant le risque toujours possible d’une résurgence de l’hérésie ; de l’autre, asseoir l’indépendance de l’Église face à la Couronne de France et à la bourgeoisie albigeoise. Le choix d’une architecture à la fois sobre et puissante est un message lancé au premier défi, en retournant habilement contre leurs auteurs les velléités cathares qui prônaient une Église pure et ascétique. La cathédrale est à dessein construite comme une forteresse aux lignes épurées pour affirmer la foi orthodoxe. À l’intérieur, la nef unique sans transept offre un espace large et désencombré pour la prédication de la saine doctrine. Quant au choix de la brique, au-delà du fait qu’elle est un matériau bon marché, il est un message lancé au second défi : celui de l’emprise de la Couronne. Choisir la brique et non la pierre, à l’instar des cathédrales du Nord, c’est rappeler la culture languedocienne.
La première brique est posée le 15 août 1282, jour de l’Assomption. Cette fête évoque l’espérance du salut offert à tous les hommes, qu’incarne la Vierge Marie, associée corps et âme à la gloire de son Fils. En 1383, toutes les travées de la nef sont voûtées. S’ajouteront la porte Dominique-de-Florence (1410) et le clocher (débuté au milieu du XIVe siècle et achevé en 1493). La cathédrale est consacré le 23 avril 1480 par Mgr Louis Ier d’Amboise, évêque d’Albi (les croix posées lors de cette cérémonie restent visibles de part et d’autre de la grande arche qui troue la fresque du Jugement dernier et sur les piles de la travée d’entrée).
Il faut imaginer cette cathédrale, au départ, aussi sobre à l’extérieur qu’à l’intérieur. En effet, durant un siècle, aucune ornementation n’est apportée au vaisseau intérieur : ni peintures, ni jubé, ni grand-chœur, ni tribunes. L’intérieur était couvert d’un enduit rouge-orangé. C’est au tournant des XVe et XVIe siècles, sous la Renaissance et à l’instigation d’évêques remarquables, à la fois mécènes et hommes de Dieu – Louis Ier d’Amboise et son neveu le cardinal Louis II d’Amboise – que vont apparaître les richesses sculpturales et picturales que nous voyons aujourd’hui. Chronologiquement, elles viennent ainsi :
– le jubé et le grand-chœur, avec leur statuaire (entre 1474et 1484) : œuvres d’ateliers bourbonnais et bourguignon
– la fresque du Jugement dernier (vers 1495) : œuvre d’un atelier parisien
– les peintures de la voûte et des murs (1509-1514) : œuvre de peintres de la région de Bologne (Italie du Nord).
Tout cet ensemble sculptural et pictural n’est pas qu’une œuvre esthétique. Elle recèle un message théologique et spirituel. Les personnages et les récits bibliques représentés se répondent et nous interpellent. Un véritable chemin spirituel nous y est ouvert : depuis la chapelle axiale à l’est, où se tient la Vierge à l’Enfant et où débute notre « naissance spirituelle », jusqu’au mur occidental, avec la fresque du Jugement dernier qui rappelle notre vocation commune à partager la Vie divine, au terme de notre existence terrestre.